Notice 4
Si,
en apprenant la disparition d’Alberto Fushni, Fleur Habitson se réfugia
instinctivement dans ce sanctuaire des hypothèses masquées qu’il fit
édifier, à l’automne de sa vie, en bordure ouest du contrefort escarpé
qui surplombe les terres basses de Tsal Jaldoum, si elle entreprit avec
une sorte de dévotion superstitieuse le seul pèlerinage qui pût encore
lui promettre une émotion, une inspiration, une traversée, c’est, à
l’évidence, pour combler je ne sais quelle vacance. Souvent, elle se
reprochait d’avoir trop pris de lui par l’esprit et
insuffisamment par le cœur. Mais, à d’autres moments, aussi, cette
exigence du sentiment lui semblait d’une absurdité sans nom : la
communion par l’esprit est tellement supérieure ; elle participe d’un
jaillissement sans cesse reconduit alors que celle des cœurs finit
toujours par se noyer dans une paresseuse et complaisante tendresse.
Prostrée durant des mois dans un fauteuil devant le portrait de son feu
compagnon - portrait réalisé sur le vif par Bernard Lermite -, elle
songeait à tous les mythes et à tous les temples que son exilé du cosmos
aurait pu encore profaner. Elle se refusait à admettre que, bien avant
de disparaître, il avait déjà fait ses adieux au monde : il n’attendait
plus depuis longtemps que quelqu’un vienne sonner à sa porte. Parfois,
il avait encore le désir de quelque chose de vivant. Alors, il caressait
machinalement son réveille-matin ; seule cette présence lui rappelait
qu’il n’était pas complètement mort. En convoquant aujourd’hui ce triste
épisode que fut le deuil sans fin de Fleur Habitson, je mesure à quel
point les derniers jours de la vie d’Alberto Fushni durent également
ressembler à un sourire mouillé de larmes.