Notice 3
Les
fatalités du cœur sont insondables, autant qu’imprenable la place
qu’occupent les êtres que nous préférons sans raison. Cependant, la
manière dont Fleur Habitson ressentit émotionnellement sa première
rencontre avec cette carne spécieuse dont elle allait s’enticher nous
informe évidemment bien moins sur la complexion mentale de son ancien
compagnon que sur le fait que, lors d’une première confrontation, nous
sommes généralement bien plus sensibles à ce qu’une machine à causer
manifeste d’autorité verbale ou d’assurance physique qu’à ce qu’elle
retient par pudeur ou savoir-vivre. Il est fichtrement rare que réserve
ou discrétion puissent être perçues en cette circonstance comme des
qualités ; en tout cas nous ne leur pardonnons que très rarement l’ennui
qu’elles génèrent, et nous sommes volontiers enclins à voir dans leur
tiédeur une faiblesse congénitale. La rencontre amoureuse ne se
présente-t-elle pas précisément comme l’un des rares épisodes de
l’existence où il nous agrée que l’autre vienne bousculer notre
sensibilité, puisque l’essentiel est de le voir se découvrir, révélant
au
passage quelques imperfections attendrissantes, certaines
tares troublantes inhérentes à son tempérament, et qui nous dispensent,
pour un temps, d’avoir à révéler les nôtres. Aussi, tout ce que Fleur
Habitson nous dit dans son livre sur ce qu’elle éprouva pour son mentor
n’est qu’une poignée de misérables notes sentimentales en marge d’un
texte aujourd’hui totalement effacé. Nous pouvons certes déduire,
d’après le sens de ces notes, ce que devait être la teneur générale du
texte relatif à la carne verbeuse dont elle a décidé de prolonger la
pensée, mais il n’en restera pas moins un doute en suspens, car les sens
possibles sont bien différents selon la subjectivité de la plume de
celle ou de celui qui, jadis, prenait justement ces notes. L’olibrius
dont elle se gargarise n’est pas tout à fait celui que j’ai connu. Et,
pour tout bonnir, je ne le retrouve que sur un point : à coup sûr, je
peux le confirmer, il se serait sans doute égaré en n’importe quel point
de la galaxie ! Pour le reste - et je tiens à parler avant tout de ses
relations affectives avec ses proches -, il me semble important de
témoigner qu’il n’avait de l’amour et de son bon usage qu’une approche
superficielle et totalement décorative. Il était davantage enclin aux
passions visuelles qu’à toute cette gymnastique transpirante, qu’à tout
ce frotti-frotta sentimental, qu’à tout ce mic mac de la chair dont la
seule dignité tenait, selon lui, à cette affection vaguement désabusée
qui, dans le meilleur des cas, survit à un instant de bave. Je ne me
souviens pas l’avoir entendu dire qu’il ait aimé, chez quelqu’un, autre
chose que le « tableau », le décor, l’apparence pure et simple. Il
n’aimait qu’avec son regard, jamais avec son imagination, car il
possédait cette faculté de ne rien projeter sur l’image qui le
séduisait. Il n’y avait rien de psychologique dans ses attirances et
l’interminable cortège de bestioles costumées et de bébelles qui
défilent en permanence sous nos mirettes dans le laboratoire des
humiliations n’était pour lui qu’une galerie de tableaux sans fin, dont
l’intérieur ne le captivait absolument pas. Il ne s’y intéressait tout
simplement pas parce que l’âme lui semblait quelque chose de bougrement
monotone, et pareillement identique chez tout le monde ; seules en
différaient, selon lui, quelques manifestations individuelles
marginales, et la meilleure part en était ce qui d’un être s’imprime
dans le rêve, l’allure et les gestes. Il considérait que voir et
entendre étaient les seuls sens à caractère noble que la vie pouvait
nous offrir, les autres étant plébéiens et charnels. La seule posture
aristocratique envisageable consistait, selon lui, à ne jamais
s’approcher de quoi que ce soit, à ne jamais rien toucher. C’est dire si
sa lubie intellectuelle consistant à hiérarchiser les sens était encore
largement inféodée à une forme écœurante d’attachement sentimental au
pourrissoir des âmes ! Que pouvait-il donc bien trouver de « noble »
dans toute cette viande accoutrée qui n’avait pour seul idéal que de
changer, au rythme accéléré des modes, la longueur ou la couleur de
leurs hardes, et de s’abrutir, nuit et jour, à en perdre le
discernement, dans une apocalypse sonore ?