vendredi 9 mars 2012

Présentation de Fleur Habitson, auteur de Plume, pinceau et Bistouri par Ben Harsiflout

                    Salle n° 28 de la bibliothèque du sanctuaire des hypothèses masquées



Notice 3

Les fatalités du cœur sont insondables, autant qu’imprenable la place qu’occupent les êtres que nous préférons sans raison. Cependant, la manière dont Fleur Habitson ressentit émotionnellement sa première rencontre avec cette carne spécieuse dont elle allait s’enticher nous informe évidemment bien moins sur la complexion mentale de son ancien compagnon que sur le fait que, lors d’une première confrontation, nous sommes généralement bien plus sensibles à ce qu’une machine à causer manifeste d’autorité verbale ou d’assurance physique qu’à ce qu’elle retient par pudeur ou savoir-vivre. Il est fichtrement rare que réserve ou discrétion puissent être perçues en cette circonstance comme des qualités ; en tout cas nous ne leur pardonnons que très rarement l’ennui qu’elles génèrent, et nous sommes volontiers enclins à voir dans leur tiédeur une faiblesse congénitale. La rencontre amoureuse ne se présente-t-elle pas précisément comme l’un des rares épisodes de l’existence où il nous agrée que l’autre vienne bousculer notre sensibilité, puisque l’essentiel est de le voir se découvrir, révélant au
passage quelques imperfections attendrissantes, certaines tares troublantes inhérentes à son tempérament, et qui nous dispensent, pour un temps, d’avoir à révéler les nôtres. Aussi, tout ce que Fleur Habitson nous dit dans son livre sur ce qu’elle éprouva pour son mentor n’est qu’une poignée de misérables notes sentimentales en marge d’un texte aujourd’hui totalement effacé. Nous pouvons certes déduire, d’après le sens de ces notes, ce que devait être la teneur générale du texte relatif à la carne verbeuse dont elle a décidé de prolonger la pensée, mais il n’en restera pas moins un doute en suspens, car les sens possibles sont bien différents selon la subjectivité de la plume de celle ou de celui qui, jadis, prenait justement ces notes. L’olibrius dont elle se gargarise n’est pas tout à fait celui que j’ai connu. Et, pour tout bonnir, je ne le retrouve que sur un point : à coup sûr, je peux le confirmer, il se serait sans doute égaré en n’importe quel point de la galaxie ! Pour le reste - et je tiens à parler avant tout de ses relations affectives avec ses proches -, il me semble important de témoigner qu’il n’avait de l’amour et de son bon usage qu’une approche superficielle et totalement décorative. Il était davantage enclin aux passions visuelles qu’à toute cette gymnastique transpirante, qu’à tout ce frotti-frotta sentimental, qu’à tout ce mic mac de la chair dont la seule dignité tenait, selon lui, à cette affection vaguement désabusée qui, dans le meilleur des cas, survit à un instant de bave. Je ne me souviens pas l’avoir entendu dire qu’il ait aimé, chez quelqu’un, autre chose que le « tableau », le décor, l’apparence pure et simple. Il n’aimait qu’avec son regard, jamais avec son imagination, car il possédait cette faculté de ne rien projeter sur l’image qui le séduisait. Il n’y avait rien de psychologique dans ses attirances et l’interminable cortège de bestioles costumées et de bébelles qui défilent en permanence sous nos mirettes dans le laboratoire des humiliations n’était pour lui qu’une galerie de tableaux sans fin, dont l’intérieur ne le captivait absolument pas. Il ne s’y intéressait tout simplement pas parce que l’âme lui semblait quelque chose de bougrement monotone, et pareillement identique chez tout le monde ; seules en différaient, selon lui, quelques manifestations individuelles marginales, et la meilleure part en était ce qui d’un être s’imprime dans le rêve, l’allure et les gestes. Il considérait que voir et entendre étaient les seuls sens à caractère noble que la vie pouvait nous offrir, les autres étant plébéiens et charnels. La seule posture aristocratique envisageable consistait, selon lui, à ne jamais s’approcher de quoi que ce soit, à ne jamais rien toucher. C’est dire si sa lubie intellectuelle consistant à hiérarchiser les sens était encore largement inféodée à une forme écœurante d’attachement sentimental au pourrissoir des âmes ! Que pouvait-il donc bien trouver de « noble » dans toute cette viande accoutrée qui n’avait pour seul idéal que de changer, au rythme accéléré des modes, la longueur ou la couleur de leurs hardes, et de s’abrutir, nuit et jour, à en perdre le discernement, dans une apocalypse sonore ? 

Ben Harsiflout, commissaire d'exposition et directeur de la revue Postures depuis 1995.